la divine grande épouse de Ramsès II
Kemet, Terre noire, nom de la vieille Égypte multimillénaire mère des civilisations, celle qui enseigna les arts à la Grèce. Elle ouvre ses entrailles et livre son savoir intemporel. Bonnes gens, entrez sans crainte dans le Lieu de Beauté qu'est la Vallée des Reines, nécropole des souveraines et des enfants royaux. La très grande épouse d'un illustre Pharaon vous précède dans sa demeure de résurrection et vous invite à vous laisser pénétrer par le mystère sacré de l'univers visible et invisible.
Néfertari est mon nom. Je suis la Maîtresse de la Haute et Basse Égypte, la Dame des Deux Terres, l'Épouse préférée de Ramsès II de la 19e dynastie. Pharaon m'appelle la Dame de Charme, la Riche d'Éloges, la Belle de Visage et la Douce d'Amour. Pour d'autres, je suis la lumière de l'Égypte, terre paradisiaque aux crues bienfaisantes du Nil créée par les dieux.
Les signes et figures étranges qui tapissent les parois de ma catacombe somptueuse ne sont ni vains ornements, graffitis ou bandes dessinées. Ils ont un sens codé, caché. C'est une narration mystique, un hymne symbolique à la Vie et à l'Amour par la parole sacrée des hiéroglyphes et l'active figuration des multiples dieux et déesses, foisonnants éléments d'un même Dieu englobant toute la création: l'air, la terre, le soleil et l'eau avec le Nil et ses berges, la lune et les étoiles, les enfants, les hommes, les femmes, les vieillards et les morts, les oiseaux, les animaux, les insectes, les plantes. Naturel et surnaturel, cycle naissance vie mort, victoire de la vie sur la mort.
Comme tous les gens du pays, j'aime rire, chanter, danser, festoyer. Et je tire vanité de gloire, culture, richesse et parure. Dois-je craindre la mort pour autant ? L'au-delà habite toujours mon esprit, et parfois me vient à la mémoire ce merveilleux dialogue de l'Égyptien avec son âme : « Les frères sont méchants et les amis n'aiment personne; les coeurs sont violents; le doux périt et le fort triomphe... La terre est au pécheur. La mort me paraît une guérison, une douce odeur de lotus, un repos sur une rive d'ivresse. »
À mon trépas, je comparaîtrai devant le tribunal des 42 divinités, les 42 provinces de l'empire, dit le Livre des Morts. Je confesserai la pureté de ma conscience. Anubis, grand dieu des morts à tête de chacal, placera mon coeur sur le plateau de la balance de Maat, déesse de la justice et de la vérité, gardienne de l'ordre du monde. Ai-je fait le mal, commis des violences, fait souffrir et pleurer, maltraité les animaux, volé, tué, blasphémé contre Dieu? Le divin scribe Thot à tête d'Ibis consignera la pesée sur une tablette. Osiris, dieu principe du bien, rendra l'arrêt. Infâme, mon coeur sera jeté aux crocs de la Dévoreuse, l'hybride lionne crocodile hippopotame. Juste, on me présentera la croix de vie et je serai guidée par la triade Osiris Isis Horus au royaume de la félicité éternelle.
Je garde le voile sur mes origines. Certains me voient la fille du roi Séti et de ce fait, soeur ou demi-soeur de mon époux. On me prétend aussi princesse héréditaire de la 18e dynastie de Thèbes, peut-être même la petite fille de la reine Amhès Néfertari. Qu'importe. Je puis vous assurer de ma noble ascendance royale. Peut-être la dévoilerai-je un jour, mais en attendant, le mystère qui l'enrobe a un charme qui me plaît. J'aime le jeu.
À 19 ans, sous l'emblème des déesses Isis et Hathor, je suis couronnée reine et grande épouse royale de Ramsès II lors de son accession au trône à l'âge de 25 ans (1290 av. J.-C.). Pharaon m'appelle Néfertari (Néfrotari), la plus belle de toutes. Ce qu'il adore construire, mon roi de la démesure: temples, chapelles, sanctuaires, palais, tombes, monuments, statues. Rien n'est trop beau, rien n'est trop gros. Et ce qu'il aime guerroyer. Il n'a pas le choix. Commandant vaillamment ses quatre divisions Amon, Râ, Ptah et Seth, il livre d'innombrables batailles en Hatti, en Lybie, en Nubie, en Palestine. Cerné de toutes parts par les Hittites à Qadesh près des rives de l'Oronte, il n'échappe à la mort que par miracle. C'est sous son règne qu'a lieu l'exode de Moïse et des Hébreux. Surdoué et excessif en tout, même dans son harem où surabondent épouses, concubines et progéniture.
Je tiens une place inouïe dans le coeur de Pharaon; il ne cesse de me combler d'honneurs, tant de mon vivant qu'après ma mort. À Abou Simbel en Nubie, il érige près de son fastueux sanctuaire un petit temple dédié à Néfertari et Hathor, la douce déesse de la danse, de la musique et de la joie, m'élevant ainsi au rang de grande divinité. Il fait creuser dans le roc le magnifique tombeau étagé à sept chambres que vous voyez. Honte aux cupides et aux impurs, il a été violé et pillé, mais les fresques peintes sur les murs ont été épargnées.
Fait exceptionnel dans l'histoire des pharaons, j'exerce un rôle actif dans la gouverne temporelle et spirituelle de l'empire. Pharaon m'associe aux nombreuses cérémonies religieuses et aux longues et difficiles négociations du traité de paix avec les Hittites. L'Égypte et la capitale de l'empire, Pi-Ramsès, connaissent l'opulence. Pharaon réussit de peine et de misère à préserver les frontières de l'Égypte, mais ne peut freiner la chute de l'empire. Il mourra à 90 ans, après un interminable règne de 67 ans.
Ma vie sur terre est plus brève. À 40 ans, je passe à mon Ka (âme) et entre dans le grand sommeil, avec l'espérance chevillée au coeur de sortir victorieuse, de ne pas sombrer dans les abîmes de l'enfer, d'aller dans tous les lieux où il me plaira auprès des esprits et des dieux. J'ai confiance dans la miséricorde des dieux. Ils ne m'abandonneront pas. Je suis pure, et si je ne le suis pas assez, je me purifierai et les dieux me conduiront dans les champs d'Ialou, aux Champs Élysées.
Là où il n'y a ni reptiles, ni poissons suspects, là où les élus sont mollement assis au bord de l'eau, à l'ombre toujours verte des grands arbres, là où l'on respire la brise fraîche du Nord...
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