ARK NETWORK reference.ch · populus.ch    
 Home  | Livre d'Or  | Contact
l'Egypte Ancienne
Senmout, l'architecte

Un grand commis de l’état 
 
Autour d’Hatchepsout gravite une pléiade de grands personnages dont l’importance et le talent témoignent de son intelligence politique. Nous les connaissons surtout par leurs monuments funéraires, grâce auxquels ils espéraient revivre pour l’éternité. En un sens, ils n’ont pas tout à fait échoué puisque nous prononçons encore leur nom, 35 siècles après leur mort… Ils se nomment Ahmès-Pen-Nekhbet, Hapouseneb, Djehouti, Ineni, Nehesy, Senmout… 
 
Le plus célèbre d’entre eux, Senmout, est aussi celui qui a suscité le plus de fantaisies romanesques. Il est connu par le nombre et l’importance exceptionnelle des traces qu’il laissa : deux tombes et un sarcophage à Thèbes, un cénotaphe au Djebel Silsileh, au moins 25 statues commémoratives, des stèles, des portraits et des effigies, divers petits objets portant son nom et peut-être aussi... deux graffiti pornographiques dans une tombe inachevée de la nécropole de Thèbes . 
 
Senmout reçut des mains mêmes de la reine des faveurs qui n’étaient accordées qu’à de très rares personnes, et en particulier le privilège de graver son image à l’intérieur même du temple de Deir el-Bahari, réservé aux membres de la famille royale. Voici ce qu’il dit de lui-même, avec la modestie caractéristique des anciens Egyptiens : 
 
Je suis le grand des grands dans le pays tout entier, celui qui écoute ce qui doit être écouté, unique dans les appartements privés, l’intendant d’Amon, Senmout, juste de voix. 
 
Je suis le favori du roi, en vérité, qui accomplit ce que loue son maître, à longueur de journée, le directeur des troupeaux d’Amon, Senmout. 
 
Je suis celui qui découvre la vérité, qui ne se montre pas partial, qui charme le maître du Double-pays par ses paroles, […], le prêtre de Maât, Senmout .
 
 
L’étude de ses diverses biographies révèle l’étendue de ses responsabilités et de son influence : 
 
· dans l’intimité de la famille royale, comme intendant du palais et précepteur de la princesse Néferourê avec laquelle il s’est fait représenter par des statues au style novateur (les fameuses « statues cubes » en particulier) 
 
· judiciaires puisqu’il se désigne lui-même comme prêtre de Maât, qui représente traditionnellement l’ordre social, et comme « celui-qui-écoute », dénomination habituelle du juge 
 
· religieuses dans l’administration du temple d’Amon, l’organisation des fêtes et dans sa participation probable aux cérémonies de couronnement et/ou de jubilé de la reine 
 
· administratives comme chef des travaux, chargé de collecter les impôts et de recevoir les tributs des vassaux étrangers 
 
On lui attribue un rôle important dans la construction du Djeser-Djeserou, un des monuments les plus originaux de l’Antiquité, mais son rôle serait surtout administratif, le maître d’œuvre étant Djehouty, un autre grand commis de l’État. 
 
Hatchepsout lui manifesta sa reconnaissance en lui accordant le privilège d’être représenté dans son temple de Deir el-Bahari par des effigies gravées et des statues à son image, honneur exceptionnel, car seuls les membres de la famille royale sont admis en présence de la divinité. Selon la mentalité égyptienne, ces portraits et ces statues se substituaient magiquement à la personne, et bénéficiaient de tous les avantages liés à la proximité du dieu. 
 
Ses monuments, tous comme ceux d’Hatchepsout, présentent des traces de dégradations volontaires, ce qui a fait dire qu’il était tombé en disgrâce après la disparition de la reine. En réalité, nul ne sait vraiment comment s’est terminé sa carrière. Les attaques n’ont pas été méthodiques, et ne concernent souvent que son nom. Or dans Senmout, il y a l’élément Mout, qui est le nom de la déesse parèdre d’Amon et célébrée elle aussi, dans le temple de Karnak. Il est nettement plus probable que la vindicte exercée sur les monuments de Senmout l’a été à l’époque d’Akhenaton, qui fit effacer les noms des dieux traditionnels partout où ils étaient accessibles. 
 
Si Thoutmôsis III, en certains sites particulièrement visibles, a réellement fait supprimer le nom et l’effigie de Senmout, c’est sans doute davantage par révisionnisme historique que pour exprimer une antipathie personnelle. Il est vraisemblable que Senmout a participé, tout comme Hatchepsout, à sa formation et que sans eux, il n’aurait jamais été le grand roi qu’il fut, le « Napoléon égyptien ». 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Amant de la reine ? 
 
Le personnage de Senmout a beaucoup inspiré les romanciers, dans un sens qui allait, naturellement, avec les préjugés de la société masculine, voulant que sans l’aide d’un homme, jamais une femme ne pourrait se hisser aussi haut. 
 
Dans bien des romans, Senmout apparaît comme l’éminence grise d’Hatchepsout, amant intelligent et manipulateur ambitieux, sans qui elle aurait été incapable de gouverner. Tombé en disgrâce, il disparaît de la scène et Hatchepsout, privée de son soutien, perd la couronne au profit de Thoutmôsis III. Dans d’autres, c’est l’amant dévoué, la Voix de son Maître, dont le sort est indissolublement lié à celui de la reine, jusque dans la mort. 
 
Ces débordements d’imagination sont autorisés par le « mystère » entourant la vie personnelle de Senmout. S’il ne nous cache rien de sa carrière, il se montre beaucoup plus discret sur sa vie privée, comme d’ailleurs la plupart des hommes de son temps. La mode n’est pas, en Égypte pharaonique, à l’étalage de la vie privée : « outing », « coming out » et autres pratiques un peu glauques, très en vogue dans certains milieux. Les autobiographies inscrites dans les tombes, qui nous renseignent sur la carrière des membres de l’entourage royal, répondent à une nécessité autrement plus sérieuse : justifier ses actes devant les dieux au moment d’aborder l’épreuve de la pesée de l’âme et se présenter, pour l’éternité, sous son jour le plus favorable.  
 
Né d’une famille de petits fonctionnaires de la région de Thèbes, Senmout est instruit, intelligent et sûrement ambitieux, en un temps où le développement de l’administration crée une forte demande de personnel qualifié. Il doit son ascension fulgurante à la combinaison de différents facteurs, une conjoncture favorable et des mérites personnels non négligeables. Il n’est sûrement pas étranger aux innovations qui caractérisent ce règne, aussi bien dans la théologie, l’architecture et la statuaire.  
 
La documentation qu’il a laissée ne fait nulle part allusion à une épouse ou à des enfants, ce qui a encouragé les spéculations les plus folles, car, à cette époque, un célibataire était un phénomène extrêmement rare en Égypte. En tout état de cause, à sa mort, c’est l’un de ses frères qui accomplit le rituel d’ouverture de la bouche d’ordinaire pratiqué par un fils. 
 
Quant à sa prétendue liaison avec la reine, c’est une légende qui repose sur des indices peu convaincants. Dans une tombe inachevée de Deir el-Bahari ont été découverts deux graffiti pornographiques, l’un exposant un personnage avantageusement pourvu approchant une silhouette que l’on pense coiffée d’une couronne royale, et l’autre montrant un accouplement.  
 
La femme a été identifiée comme étant Hatchepsout mais cela ne signifie pas nécessairement que cette image reflète une quelconque réalité. Cet endroit était un lieu de repos pour les ouvriers travaillant sur le chantier du Djeser-Djeserou et il existe de nos jours certains lieux d’aisance où s’exprime toujours la verve artistique des dessinateurs amateurs sans que l’on puisse considérer cela comme de la documentation historique. 
 
Hatchepsout n’est pas la seule femme un peu en vue à avoir été insultée par des graffiti salaces. L’accusation de luxure est fréquente quand c’est la seule arme dont disposent certains hommes lorsqu’ils se sentent lésés par la position prépondérante d’une femme. Bâtir tout un roman sur ces deux graffiti est sans doute accorder trop d’importance à ce qui n’est sans doute rien d’autre que l’expression grossière d’un intégriste voulant voir Hatchepsout à la seule place qu’une femme est censée occuper : sous la domination d’un homme. En admettant qu’il s’agisse bien d’Hatchepsout.  
 
Il est certain que Senmout et Hatchepsout ont entretenu des relations privilégiées. Dans ses monuments commémoratifs, le grand intendant n’a pas manqué une occasion d’exprimer son adoration pour sa reine, mais c’est là encore le domaine du discours politico-religieux et s’adresse aux dieux tout autant qu’aux hommes, puisque l’on sait que les grands sont censés partager la destinée post-mortem du roi, et n’a sans doute rien à voir avec ses sentiments personnels.  
 
D’autre part, une femme tenant un rôle d’homme est extrêmement vulnérable et il paraît peu vraisemblable qu’Hatchepsout eût couru le risque d’une liaison avec un inférieur. L’histoire nous a trop souvent démontré que c’est en se cantonnant à la vertu la plus rigide qu’une femme de pouvoir parvient à laisser une trace ailleurs que dans la rubrique des commérages. 

  
(c) Virgnie alias Hatchepsout - Créé à l'aide de Populus.
Modifié en dernier lieu le 3.04.2005
- Déjà 2963 visites sur ce site!