Un roi modéle
Le règne de Thoutmosis III commence nominalement à la mort de son père Thoutmosis II. Le nouveau roi a été formellement choisi lors d’un oracle d’Amon (Urk. IV, 155-176). Cependant, il est encore très jeune, et c’est sa belle-mère, la reine Hatshepsout, qui exerce réellement le pouvoir. Peu à peu (peut-être dès l’an 2), celle-ci prend tous les attributs de la royauté, et l’Egypte connaît alors une véritable corégence, avec deux rois à la fois. Thoutmosis III ne gouverne pas, mais est associé à tous les évènements marquants sur les bas-reliefs.
Ce n’est qu’à partir de l’an 22 que Thoutmosis III jouit seul du pouvoir.
Son activité constructrice est relativement importante. A Karnak, à l'est de l'ancienne « cour du Moyen-Empire », il édifie l’Akhmenou, salle jubilaire (voir la notice de touregypt.net). Les VIe et VIIe pylônes, plusieurs obélisques, un édifice près du lac sacré, et les « piliers héraldiques » datent aussi de son époque. Il fait également construire en Nubie (Bouhen, Gebel Barkal, Saï, Amada, Ellessiya, Ouronarti, Gebel Dosha, Pnoubs, Qasr Ibrim, Semna, Koumma, Kouban), à Eléphantine, Assiout, Kom Ombo, Edfou, Elkab, Tôd, Hermopolis Magna, Akhmîm et Héliopolis. L’échanson royal et chef des travaux du roi Minmès a supervisé un certain nombre de ces travaux (au moins 19), tout comme le premier héraut Iamounedjeh et le grand prêtre d’Amon Menkheperrêséneb.
Expéditions
Fragments du mur des annales au Musée du Louvre.
Le roi est toutefois surtout connu pour ses activités militaires, dont la chronologie nous est préservée grâce au mur dit « des annales » qui entourait le sanctuaire d’Amon à Karnak. Ces inscriptions font état de 14 campagnes en Asie de l'an 22 à l'an 42. Cependant, la vocation des « annales » n’est pas de décrire année par année toutes les opérations guerrières, mais de comptabiliser les produits étrangers que l’activité du roi, militaire ou diplomatique, permettait au Trésor d’Amon d’acquérir, et chacune des « campagnes » n’est pas une expédition d’envergure.
Il faut compléter ces annales par les autobiographies des militaires Amenemheb et Tjanouny (Urk. IV, 889-925 et Urk. IV, 1004, 4-10), les stèles de Gebel Barkal, d’Erment et la « stèle poétique » pour avoir une vision plus complète des conquêtes du roi.
Le roi offre ses ennemis à Amon sur le VIIe pylône de Karnak.
La première campagne, en l’an 22, a permis à Thoutmosis III de se parer du prestige d’un roi victorieux, et l’on s’en remémore encore 20 ans après les faits sur la stèle du Gebel Barkal. Pour soumettre une insurrection dans le Retenou, l’armée part de Memphis, puis franchit les frontières de l’Egypte à Tjarou. 10 jours plus tard, elle atteint Gaza, distante de près de 300 km. Elle continue sa marche pendant 11 jours, jusqu’à Yehem, où le roi réunit un conseil de guerre. Deux options sont possibles : couper au plus court par le défilé d’Arouna, route étroite et dangereuse, ou faire un détour par le sud. Le roi choisit la hardiesse pour surprendre l’ennemi. En 4 jours, les troupes égyptiennes parviennent à Megiddo (l'Armageddon de la bible), où l’ennemi est retranché. La bataille a lieu le lendemain. Les ennemis partent en déroute. Les comptes de la bataille ne font apparaître que 340 ennemis prisonniers et 83 tués, ce qui montre que l’engagement n’a pas été de grande ampleur. Les troupes égyptiennes perdent du temps à piller le camp ennemi, et ne peuvent prendre la ville immédiatement. Celle-ci n’offre sa reddition qu’après 7 mois de siège. Néanmoins, les conséquences politiques de cette démonstration de force sont importantes : tous les princes de la région font soumission à l’Egypte et lui envoient des tributs. Ils deviennent inféodés au Pharaon, devant lui prêter un serment d’allégeance. Thoutmosis III fait don de ces régions à Amon.
La huitième campagne, en l’an 33, est également considérée comme cruciale par la propagande royale. En effet, le roi traverse « le grand fleuve du Naharina » (sans doute l’Euphrate), dépassant ainsi l’avancée la plus septentrionale de son aïeul Thoutmosis Ier. Après avoir pillé la région, il mène une chasse à l’éléphant à Niya, et en massacre 120. Ces exploits cynégétiques constituent une mise en scène du pouvoir royal qui pose le souverain en maître des forces de la nature, comme plus tard Amenhotep III fait diffuser de nombreux scarabées en pierre qui narrent sa « chasse au lion ». Le dépassement de la « frontière » établie par Thoutmosis Ier (en fait seulement le point atteint par son armée) rappelle un autre devoir royal, l’élargissement des confins du pays. Si l’on ajoute que le butin est versé à Amon, Thoutmosis III se pose donc en archétype du roi parfait.
Ces démonstrations de puissance sont parfois trop soulignées par l’historiographie, et certains auteurs, à la suite de James Henry Breasted, ont voulu comparer Thoutmosis III à Napoléon. Certes, ses campagnes militaires sont nombreuses, et leur influence politique et diplomatique ne doit pas être négligeable, mais l’échelle des opérations reste réduite ; il y a beaucoup de razzias mais peu de batailles pour contraindre les princes du Retenou à s’allier à l’Egypte plutôt qu’au Naharina (ou Mitanni) et à affaiblir celui-ci.
Un esprit cultivé
Frise du "jardin botanique", Mariette, Karnak, 28.
De plus, le roi se pose aussi en lettré, et les documents permettent de reconstruire l’image d’un homme épris de culture et d’histoire. A Karnak, il fait édifier une salle des Ancêtres, avec une liste de rois commençant avec Ménes. Dans l’Akhménou, il entreprend le « jardin botanique », espace orné de bas-reliefs représentant toute sorte de faune et de flore, avec une vocation quasi encyclopédique, sorte d’onomasticon figuré. Lorsque son expédition capture un rhinocéros en Nubie, il en fait consigner les mensurations précises. Thoutmosis III pratique également la calligraphie, comme en témoigne son vizir Rekhmirê.
Cependant, à partir de l'an 42, il fait marteler les cartouches et les effigies de sa marâtre Hatshepsout. Cette réaction tardive, 20 ans après son arrivée au pouvoir, s'explique peut-être par la volonté d'anéantir les prétentions royales de possibles héritiers d'Hatshepsout.
Après plus de 53 ans de règne, il est enterré dans la tombe n°34 de la Vallée des Rois. Sa momie a été retrouvée dans la cachette royale de Deir el-Bahari. Il est succédé par son fils Amenhotep II, qu’il a eu de sa seconde épouse, Hatshepsout Méritrê. Il est possible que cette succession se soit opérée après quelques années de corégence.
Sous la XXIe dynastie, il inspire le roi Paynejem Ier qui donne le nom de couronnement de Thoutmosis III, Menkheperrê, à son fils, alors qu'il nomme sa fille Maâtkarê, comme Hatshepsout. Sa mémoire est encore évoquée à l'époque lagide.
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